Dr. Hisham Al-Arou
La cause palestinienne résume un siècle de conflit entre deux projets contraires : un projet colonial et de colonisation occidental, déguisé en slogans sionistes, et un projet de libération arabe-palestinienne qui a tenté de résister à la décomposition et au déplacement. Depuis la Déclaration Balfour en 1917 jusqu’au Sommet de Sharm el-Sheikh en octobre 2025, de nombreuses initiatives et négociations ont eu lieu, et les slogans ont évolué, passant de « Terre contre paix » à « Paix économique ». Pourtant, l’essence du conflit reste la même : qui a le droit à la terre, à l’identité, et à la souveraineté ?
De la promesse Balfour à la Nakba : la fondation de la tragédie
La tragédie palestinienne a commencé avec la déclaration Balfour, lorsque la Grande-Bretagne a accordé ce qu’elle ne possédait pas à ceux qui ne méritaient pas, posant ainsi les bases juridiques et politiques de la création d’Israël sur les ruines du peuple palestinien. Ensuite, le mandat britannique a encadré concrètement ce projet, en ouvrant la voie à l’immigration organisée et en armant les milices sionistes.
En 1948, l’État d’Israël a été proclamé, couronnant ce processus par la Nakba : plus de 700 000 Palestiniens ont été forcés de fuir, et plus de 400 villages ont été détruits. Dès lors, la question s’est déplacée d’un combat pour une patrie à une question de réfugiés attendant une « solution juste » qui n’est pas encore venue.
Guerre de 1967 et début du tournant américain
La guerre de juin 1967 a marqué un tournant stratégique. Les nouvelles occupations israéliennes ont établi un repère : la Résolution 242 de l’ONU est devenue la référence pour toute solution ultérieure. Sous la présidence de Richard Nixon, Washington a progressivement assumé le rôle de seul garant de ce qu’on a appelé « le processus de paix ».
L’initiative de Rogers symbolisait ce changement, estimant que la résolution du conflit ne pouvait se faire que par la négociation, non par la guerre. Cependant, la position arabe unifiée à l’époque— incarnée par la Conférence de Khartoum de 1967 avec ses « Trois Non »—a fermé la porte à toute résolution précoce, maintenant le conflit dans un cadre de confrontation.
De Camp David à Madrid : percées dans la négociation séparée
À la fin des années 1970, après la signature des accords de Camp David (1978) entre l’Égypte et Israël, Le Caire a quitté le paradigme du conflit direct, ouvrant la voie au concept de « paix séparée », qui a fragmenté l’unité arabe.
La Conférence de Madrid (1991), co-organisée par les États-Unis et l’Union soviétique, a initié des négociations directes entre Palestiniens et Israéliens. De cette conférence sont nés les Accords d’Oslo (1993) sous la présidence de Bill Clinton, qui ont établi l’Autorité palestinienne comme étape transitoire vers un État indépendant en cinq ans.
Cependant, Oslo, acclamé comme une étape historique, contenait aussi ses graines d’échec : ambiguïté sur des questions essentielles (Jérusalem, réfugiés, frontières, colonies) et une hégémonie sécuritaire israélienne sur la territoire.
De Clinton à Obama : entre promesses et impasses
À la fin des années 1990, l’administration Clinton a tenté de sauver Oslo lors du sommet de Camp David II (2000) entre Yasser Arafat et Éhoud Barak, mais cela s’est soldé par un échec après le refus des Palestiniens de propositions perçues comme menaçant leur souveraineté sur Jérusalem et leur droit au retour.
L’éclatement de la Deuxième Intifada a ramené le conflit à sa nature initiale : résistance contre l’occupation, et non négociations. Sous la présidence de George W. Bush, le plan “Feuille de route” a été lancé en 2003, promettant la création d’un État palestinien d’ici 2005. Mais ce plan a disparu dans la vague avec la montée de la droite israélienne et la construction du mur de séparation.
Puis est venu Barack Obama, avec son slogan « Solution à deux États » et sa tentative de relancer la paix. Cependant, il s’est heurté à la fermeté du gouvernement Netanyahu et à une division profonde entre Fatah et Hamas, transformant ses promesses en simples discours diplomatiques dépourvus de moyens réels de pression.
Trump et la “Deal of the Century” : la fin d’ Oslo
À l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, il a fermement clôturé le chapitre de la neutralité américaine. Il a reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël, transféré l’ambassade américaine, arrêté le financement de l’UNRWA, puis lancé ce qu’il a appelé “Deal of the Century”, légalisant l’annexion de la majorité des colonies et engloutissant la majeure partie de la Cisjordanie, conservant aux Palestiniens des enclaves isolées sous le nom de “État”.
Avec ces mesures, Washington a effectivement mis fin à tout débat sérieux sur une solution à deux États, transformant la question palestinienne en un enjeu administratif-sécuritaire géré sous le label de “stabilité régionale”, plutôt qu’une résolution du conflit.
De la Tempête d’Al-Aqsa au Sommet de Sharm el-Sheikh : paix en cendres
Le 7 octobre 2023, l’opération “Tempête d’Al-Aqsa” a ramené la cause palestinienne au premier plan de la scène mondiale. Alors qu’Israël croyait en une “stabilité stratégique”, l’attaque a révélé la fragilité de tout son système sécuritaire et politique.
Cependant, la réponse israélienne à Gaza a été catastrophique : destruction massive, milliers de victimes, et déplacements internes importants. Face à la pression croissante de la communauté internationale et régionale, et à une exhaustion militaire et humanitaire sans précédent, Le Caire et les États-Unis ont appelé au Sommet de Sharm el-Sheikh pour la paix en octobre 2025.
Le sommet a été nommé “Sommet de la paix 2025”, réunissant de nombreux dirigeants arabes et occidentaux, avec des promesses de reconstruction de Gaza et de lancement d’un nouveau processus politique. Pourtant, plusieurs observateurs pensent que ce sommet ne ravive pas la solution à deux États mais reproduit plutôt Oslo, dans une nouvelle formule sécuritaire-économique, visant à stabiliser la réalité existante sous le nom de “stabilité régionale”.
Y a-t-il encore quelque chose du projet de deux États ?
D’un point de vue pragmatique, on peut dire que la solution à deux États n’existe aujourd’hui qu’en discours diplomatique. La colonisation a englouti plus de 60 % des terres en Cisjordanie, Jérusalem est hors de toute négociation, et Gaza vit sous un blocus étouffant depuis 17 ans. Par ailleurs, la division palestinienne épuise toute possibilité de construire un projet national unifié.
Même au niveau international, la dynamique de soutien à un État palestinien s’est affaiblie, le monde étant préoccupé par les crises en Ukraine, à Taïwan, ou dans le secteur de l’énergie. Les régimes arabes, eux, se concentrent davantage sur la “gestion de la relation” avec Israël plutôt que sur la faire pression.
Ce qui émerge aujourd’hui, ce n’est pas la “solution à deux États”, mais de nouveaux arrangements administratifs supervisés par des acteurs arabes et internationaux, contrôlant la sécurité et la reconstruction, en échange d’un engagement palestinien à ne pas revenir à la résistance. C’est une “paix froide” qui ne met pas fin à l’occupation, mais en la recouvrant plutôt de slogans humanitaires et économiques.